A l’approche du 10 décembre, date marquant la journée internationale des droits de l’homme et le 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), le CAD publie ce jour son rapport pour mettre en lumière la situation des droits humains en République du Congo. Notre organisation constate qu’aucun signe n’indique l’amélioration de la situation dans le pays. Télécharger le rapport
En considération de ces instruments nationaux et internationaux, Nous avons vu le Gouvernement renoncer à ses obligations en matière de droits humains et à la nécessité de faire rendre des comptes aux auteurs d’abus. 2.098 violations ont été documentées cette année (2023) ; ce qui montre une évolution croissante des atteintes aux droits humains comparativement à l’année passée. L’âge des victimes varie entre 15 ans et 63 ans.
Nous avons documenté des inégalités artificielles, des cas de torture et des mauvais traitements, des atteintes aux droits à la vie, notamment des exécutions extrajudiciaires, la violation de la présomption d’innocence, l’impunité, les arrestations et détentions arbitraires, les atteintes à la liberté d’expression, la discrimination persistante des peuples autochtones, des limites dans la réalisation des droits sociaux et économiques, notamment les droits à la santé et à l’eau, des cas d’expulsions forcées de masse et bien d’autres.
De plus en plus, on observe une surenchère sécuritaire qui met à mal le droit à la vie. En 2023, la police a encore été responsable des homicides illégaux des jeunes gens accusés à tort ou à raison d’appartenance à des groupes de gangs. Nombreuses sont des familles qui n’ont pas souhaité témoigner et ont renoncé à la justice par peur de représailles. Parmi les victimes, on compte des mineurs de 15 à 17 ans. Cela explique la pratique violente du maintien de l’ordre et de la sécurité publique dans le pays. Nous avons documenté une dizaine de cas.
En 2023, nous avons beaucoup travaillé sur la situation des personnes interpellées et gardées dans les cachots de police et de gendarmerie à travers le pays. Ces deux institutions sont à refonder totalement. Semer la terreur, une culture qui devient ancrée dans les mœurs des policiers et gendarmes chargés des interventions ou ayant la qualité de placer en garde à vue des individus. Arrestations arbitraires, gardes à vue abusives, insultes, agressions physiques et verbales, torture, mauvaises conditions de détention, extorsions… sont autant de réalités qui définissent la police et la gendarmerie congolaises.
Ces cachots sont devenus de facto des ersatz des centres pénitentiaires. Cependant, la législation pénitentiaire ne s’observe pas dans ces cachots. La torture est régulièrement utilisée. Les défaillances sont importantes et à certains moments, elles conduisent à des homicides volontaires et involontaires.
Les magistrats ne contrôlent presque rien.
Ces agents de l’ordre rackettent de l’argent pour un rien. Les arrestations sont devenues une activité lucrative à part entière dans le fonctionnement de la police et de la gendarmerie, au détriment de ce que prévoient les lois. Une fois qu’une personne est prise, elle est directement conduite et placée en garde à vue. Elle ne peut y ressortir qu’après versement de la somme d’argent exigée. Pour avoir réalisé plusieurs interventions, nous avons compris que trois acteurs interviennent dans ce système de racket savamment entretenu: l’agent désigné enquêteur, le chef de service police judiciaire et le commissaire/ chef de brigade. Comme quoi, les cachots de police et de gendarmerie sont devenus des chambres d’hôtel, dans lesquelles on ne peut accéder et ressortir qu’après paiement des frais afférents.
Tous les policiers et gendarmes qui ont échangé avec nous ont parlé du manque de budget pour l’entretien des locaux et la prise en charge des personnes gardées à vue et des difficultés de leur condition de travail.
Comme la force publique, les magistrats congolais poursuivent eux aussi une utilisation massive de la détention arbitraire; avec pour conséquence la surpopulation des prisons. Le code pénitentiaire en vigueur depuis avril 2022 fait face à de réels défis.
L’ONG Prison Inside, spécialisée sur les prisons, soutient que : « Les prisons congolaises comptent parmi les plus surpeuplées du monde : le taux d’occupation est de 313 % en 2020. Il atteint plus de 600 % dans les maisons d’arrêt de Brazzaville et de Pointe Noire.
Article 341 et 342 du code pénal congolais « Tous magistrats ou fonctionnaires qui ordonnent ou tolèrent sciemment une détention arbitraire sont punis des travaux forcés à temps… »
Article 119 du même code pénal « Les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire, qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendant à constater les détentions illégales et arbitraires, soit dans les maisons destinées à la garde des détenus, soit partout ailleurs, et qui, ne justifieront pas les avoir dénoncé à l’autorité supérieure, seront punis de la dégradation civique. »
De plus en plus, nous observons une espèce de magistrats peureux, incapables de dire le droit. Leur faiblesse face aux auteurs d’abus nourrit la multiplication des atteintes aux droits humains. La justice congolaise c’est aussi la hiérarchisation des vies humaines. Exceptionnellement, elle est active lorsque les riches et les puissants se plaignent.
Les victimes, majoritairement pauvres, ont du mal à accéder à la justice. A mesure que les violations des droits humains n’aboutissent presque pas à des enquêtes et à des procès, on assiste à une banalisation de ces violations. Et, l’impunité est vécue par les victimes comme une épreuve douloureuse.
La torture fait partie des crimes graves selon le droit international qui appelle les États à prendre des mesures pour faire en sorte que les présumés auteurs soient poursuivis et jugés. Malheureusement, la torture et les mauvais traitements ne faiblissent pas. Les autorités congolaises ont continué à manquer à leurs obligations de lutter contre la torture.
Des membres des forces de l’ordre ont eu recours à des mauvais traitements et à la torture dans le but d’humilier, d’obtenir des aveux et de punir les individus. Au moins 23 cas de torture ont été documentés. Quatre cas ont entraîné la mort. Des familles ont été endeuillées, et de nombreux jeunes ont été fait infirmes à cause de la torture.
La banalisation de la torture est visible dans l’expression des agents de l’ordre qui ont inventé un langage codifié pour désigner les pratiques cruelles auxquelles ils se livrent. Deux expressions reviennent souvent.
Traiter : user d’instruments comme les marteaux, machettes, les bâtons pour frapper les pieds (plante des pieds, tibias ou chevilles) de quelqu’un dans le but d’arracher des aveux. Même en changeant d’instrument et de parties du corps, l’expression garde la même signification. C’est à la libre imagination du tortionnaire. On les voit alors redoubler d’effort dans la cruauté pour inventer les traitements les plus barbares.
Donner le visa ou faire voyager : éliminer physiquement, tuer. Au-delà de l’acte de tuer, il s’agit ici de ne laisser aucune trace de l’exécution en faisant disparaître le corps de la victime. Cette pratique est un acte délibéré de disparition forcée. La torture se porte bien. Une pratique officielle, car les agents se servent des outils de l’Etat pour commettre ces actes affreux.
Nous avons été dans plusieurs localités à l’intérieur du pays. Nous avons observé l’absence des services et infrastructures essentielles viables tels que l’eau, la santé, et l’électricité. Le Gouvernement n’intervient presque pas en ce qui concerne les droits sociaux et économiques, notamment les droits à la santé, à l’eau, à l’éducation et à l’électricité. Les populations en sont privées en raison des politiques discriminatoires.
En règle générale, l’état des centres de santé en zones rurales est médiocre. Les pratiques dans ces centres de santé de même que les défaillances du système de santé dans ces localités sont graves et sources d’homicides involontaires. Les établissements sanitaires sont mal gérés, et ont tout juste comme objectif de faire des recettes par la vente des médicaments sans forcément se soucier de la qualité de soins pour les malades.
Le Gouvernement a réduit en « esclavage » des centaines et des centaines d’agents de santé communautaire, alors qu’ils tiennent le secteur de santé rural. Ces agents sont dans une situation administrative précaire avec des rémunérations aléatoires et dérisoires, très en-deçà des normes du pays. Ces hommes et femmes ont accepté de travailler dans les centres de santé ruraux contre une promesse mirage de recrutement à la fonction publique.
Pendant des dizaines d’années, ils prestent les uns comme les autres en qualité de chefs des centres de santé, aides-soignants, assistants… sous l’autorité directe de l’État. Dans la pratique, ils seraient comme des esclaves. Ils perçoivent des primes ridicules provenant soit des maigres recettes des centres de santé soit du député de la circonscription soit des conseils départementaux. La prime, qui n’est pas un salaire, maintient ces agents dans une précarité extrême. Pourtant, ces agents communautaires travaillent au même rythme horaire que les fonctionnaires. Avec des primes minables, ils sont dans l’incapacité de subvenir à leur besoin, notamment pour se nourrir, se vêtir ou se loger. Ils sont contraints de faire des choix entre ces besoins vitaux. Ces agents communautaires n’ont pas de contrat de travail. Par conséquent, ils sont privés de tous les avantages sociaux, notamment les congés, les droits syndicaux et la sécurité sociale. Ils sont condamnés à vivre pauvres mais continuent à travailler à cause d’une promesse mirage de recrutement. Cela relève purement d’une escroquerie établie par le Gouvernement.
Les autochtones continuent à être privés des droits les plus élémentaires. Nous constatons que l’élan positif qui a caractérisé les pouvoirs publics et les partenaires de la République du Congo pendant et après l’adoption de la loi 5 du 25 février 2011 portant promotion et protection des droits des populations autochtones semble s’essouffler. Les plans successifs visant à lutter contre l’exclusion et la marginalisation des autochtones n’ont jamais été exécutés.
Le Gouvernement congolais a autorisé des expulsions forcées de masse et la démolition des maisons d’habitation dans la zone des casernes militaires nouvellement érigées à Ndouo, un quartier situé dans l’arrondissement numéro 7- Mfilou à Brazzaville. Près de 500 personnes ont été évincées de force en violation des garanties établies par la législation régionale et internationale, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
elles sont en péril. Méthodiquement surveillées, leur usage demeure un exercice risqué. Activistes, acteurs politiques et médias sont souvent dans le collimateur du pouvoir en place. En 2023, deux activistes ont été arrêtés et privés de liberté pour avoir critiqué la gestion de l’épidémie de Shigellose dans la ville de Dolisie. Dans l’un de ces cas, la détention a duré plusieurs semaines, et dans l’autre, elle a duré 24 heures. Des activités des opposants ont été empêchées. Les journalistes ne travaillent pas en toute liberté. La censure est devenue la boussole du journaliste congolais. Selon le classement mondial 2023 établi par RSF, le Congo occupe la 81ème place sur 180. Le Conseil supérieur de la liberté de communication (CSLC) ne s’est pas libéré de l’emprise politique.